05 - LETTRE AU MINISTRE DE L’ÉDUCATION

Lettre ouverte au Ministre québécois de l'Éducation et de l'Enseignement supérieur, Jean-François Roberge

Monsieur Roberge

Je suis une maman comme tant d'autres, qui a simplement à cœur le bien-être de mes enfants. Mon histoire est celle d'une maman qui est restée à la maison dès son premier enfant et qui a décidé de faire un gros changement dans sa vie en quittant sa carrière. Quelques années plus tard, lorsque le temps de l'inscription à l'école est arrivé, ça faisait déjà trois années qu'on avait commencé à réfléchir à l'éducation à domicile. Ce fut comme une suite naturelle des choses pour nous. C'est à dire de veiller aux apprentissages de nos enfants sous toutes ses formes.

Monsieur le Ministre, sachez que les parents qui font ce choix y ont pensé longtemps. C'est un choix éclairé, assumé, réfléchi et qui demande énormément de sacrifices dans la vie d'une personne. Dans mon cas par exemple, j'ai mis de côté ma carrière, un excellent salaire ainsi qu'un bon niveau de vie afin de me consacrer à l'éducation de mes enfants. J'ai une Maîtrise et j'aime mon domaine de travail (je travaille encore d'ailleurs 10 heures par semaine, en plus d'être à temps plein avec mes enfants). Par contre, malgré ces pertes, rien ne vaut à mes yeux le bonheur de voir mes enfants épanouis, libres de suivre leurs passions, apprendre à leur rythme, etc. En plus, ce choix permet à mes enfants d'avoir un rythme de vie qui leur convient si bien, loin du gros stress, du « go, go, go », des évaluations et de la vie pressée que trop de gens mènent. Dans notre maison, Monsieur le Ministre, mes enfants rient, jouent, mangent bien, prennent beaucoup d'air frais et savez-vous quoi? Ils apprennent aussi! Énormément! Et beaucoup mieux qu'ils le feraient à l'école car ici il n'y a pas de « bourrage de crâne ». Ce qui est acquis est donc vraiment acquis.

Avant de penser connaître ce qu'est l'éducation à domicile, Monsieur le Ministre, il faut prendre le temps de le vivre un peu et prendre la peine de s'y intéresser. L'éducation à domicile est une petite bête qu'il faut apprivoiser. Pour un œil extérieur il peut être difficile de percevoir les subtilités et les dynamiques qui s'y jouent et qui font en sorte que c'est un monde complètement différent de l'école régulière. On offre à nos enfants une façon d' ÊTRE et de se DÉVELOPPER qui serait complètement impossible à l'école. On offre à nos enfants le luxe d'avoir du temps pour eux. Le luxe de pouvoir manger tranquilles en discutant de l'actualité ou de l'activité qu'on a fait le matin. Le luxe de passer rapidement les connaissances qu'ils on déjà acquises ou la matière qui est plus facile pour eux. Le luxe de les connaître assez bien pour savoir comment enseigner quelque chose afin qu'ils le comprennent mieux. Le luxe d'avoir du temps pour jouer dehors. Le luxe d'avoir du temps pour voir des musées, souvent. Le luxe d'approfondir des sujets qui les passionnent et d'adapter notre enseignement à leurs passions et à leurs styles d'apprentissage. Le luxe de vraiment prendre le temps de les connaître. Oui, l'éducation à domicile est un luxe. Et on se paie ce luxe avec nos sacrifices immenses. Nous ne devons ce mode de vie à personne. C'est bel et bien nous qui nous l'offrons, avec les choix qu'on a fait, les choses qu'on a mises de côté et tout ce qu'on est prêts à endurer dans notre vie afin de braver la tempête et voguer à contre-courant car ce qu'on veut, par-dessus tout, c'est d'offrir ce type d'éducation à nos enfants. Qu'y a t-il de mal là-dedans?

Monsieur le Ministre, je dois m'insurger contre le fait que vous ne dites pas toute la vérité au public et aux gens qui ont voté pour vous. Lorsque vous dites que présentement il n'y a aucune matière obligatoire, vous savez que cela est faux. De plus, il aurait été aimable de votre part de mentionner publiquement que la Direction de l'enseignement à la maison (DEM) n'a même pas eu une année afin de s'installer et de mettre en place les moyens de « surveillance » et de régulation qui avaient été décidés... Voilà pourquoi je trouve complètement injustifié et mensonger de parler de nous comme si nous faisions ce que nous voulons avec nos enfants.

Monsieur le Ministre, j'ai confiance dans le travail que j'accomplis à la maison avec mes enfants et pour que ceci ait lieu, les apprentissages doivent arriver spontanément et parfois à des moments où on ne s'en attendait pas. Notre motivation quotidienne est proportionnelle au degré de liberté que nous avons. Car je ne peux pas suivre les passions de mon enfant si j'ai en tête un paquet d'apprentissages qui me sont dictés « par le haut ». La liberté éducative c'est le droit de choisir le genre d'éducation qu 'on offre à nos enfants et la TRÈS, TRÈS GRANDE majorité des parents veulent faire exactement cela. Sans oublier le fait que TOUS les parents que je connaisse, de près ou de loin, et qui font l'éducation à domicile ont fait d'énormes sacrifices afin de pouvoir offrir cela à leurs enfants et ont cette mission à cœur.

Dernier point très important, c'est que le contexte de l'éducation à la maison ne favorise pas les examens car ce n'est pas dans cette optique-là que nous enseignons. Je comprends comment il doit paraître anodin pour le public de considérer passer un examen, mais nous, à la maison, enseignons dans l'optique que l'enfant apprenne bien mais surtout qu'il AIME apprendre. Est-ce si mal? Un des buts premiers est qu'il développe l'amour des apprentissages, l'amour de la lecture, l'amour de sa langue, l'amour des sciences, etc. Vous voyez? On se demande pourquoi tant d'enfants n'aiment pas lire et ne font que regarder la télévision? Pourquoi tant d'enfants ne finissent pas leur secondaire? Pourquoi tant d'enfants sortent de l'école et ne savent pas bien écrire? C'est qu'à la base, ils n'aiment pas réellement ce qu'ils apprennent et n'aiment tout simplement pas apprendre car ils ont été forcés de le faire, et ce, depuis le tout début. Loin de moi l'intention de blâmer les enseignants... Je regarde tout le système et nous savons tous que les enseignants ont énormément de contraintes. À moins que vous croyiez encore dans les méthodes des religieux et des religieuses, Monsieur le Ministre, vous savez qu'il ne sert à rien de forcer quelqu'un à apprendre. C'est en ayant le plaisir à apprendre que la matière sera le mieux intégrée.

Monsieur le Ministre, pour terminer, si vous voulez que plus de gens s'intéressent à votre système éducatif et aient envie de l'adopter, il faudrait que vous commenciez par le regarder bien comme il faut et faire ce qu'il se doit afin de l'améliorer. À la place de vous en faire pour nous et pour nos pauvres enfants qui apparemment « souffrent d'un manque éducatif » (mots rapportés par le quotidien Le Devoir), il serait souhaitable de s'occuper des enfants qui dépendent de votre système et qui attendent que vous l'amélioriez. Il y a plein d'enfants qui s'ennuient à l'école, qui « sous-performent », qui ne réussissent pas et qui se font intimider. En même temps, vous pourriez vous occuper davantage de vos enseignants, la plupart extraordinaires, et qui s'épuisent et ne reçoivent pas la reconnaissance qu'ils méritent. Ces gens-là dépendent de vous et attendent des améliorations à leurs problèmes quotidiens. Vous ne les regardez pas et mettez beaucoup trop d'énergie sur un problème inexistant.

Marie-Eve Verret Parent-éducateur




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