07 - TÉMOIGNAGE


Une photo, une tranche de vie.

Une photo de mon fils à 6 ans, dans notre salon. Avec un grand sourire, il a autour du cou sa médaille sur laquelle est inscrit « persévérance ». À première vue, cette photo peut sembler magnifique, mais elle est la plus triste de mes photos. Pour moi, c’est le symbole de notre changement de vie. Sur cette photo, mon fils est diagnostiqué, depuis quelque temps déjà, TDAH, trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité. Pour avoir sa médaille de la persévérance, il doit prendre une médication qui le rend malade, qui étouffe sa créativité, qui lui donne une multitude de tics nerveux au point où il se gratte au sang sous le nez. On peut l’observer sur la photo, mais seulement quand on regarde de plus près. Sur cette image, il en est déjà à sa 5e sorte de médication. Chaque fois, quand je regarde cette image de mon fils avec un grand sourire qui cache une grande tristesse, je souffre... Je souffre d'avoir écouté tous les « spécialistes » et non mon cœur de maman. Je me souviens de tous ces épisodes de folie que les différentes médications lui ont apportés et j'ai mal à mon ignorance de l’époque.


Quelques mois plus tard, c’est la dernière rencontre avec les sept spécialistes d'un centre d'évaluation en pédopsychiatrie. Ils nous donnent les dernières informations pour notre fils. Je me souviens, j’étais seule dans le local avec tous les « psys » et la professeure de mon fils. Mon conjoint, qui manquait le travail deux fois par semaine, était à la maison avec ma plus jeune. La prochaine médication était le Risperdal. Pour résumer, les spécialistes m’avaient expliqué qu’il avait trop d’idées en même temps et que cette médication allait l’aider à en avoir moins. Ils disaient « un trouble de l’idée », au-delà d’un simple TDAH. Cette médication impliquait des prises de sang chaque semaine et un suivi rapproché avec le psychiatre. Mon cœur s’est serré, ma gorge s’est nouée et, soudain, j’étais seule dans mes pensées comme si une bulle de verre fumé m’entourait. J’ai revu tous les moments où mon fils était malade à cause des médications que nous avions testées. Le moment où il est tombé dans la neige, mais qu’il est resté là, mollement, fixant le vide, ou cet autre moment où nous étions dans un parc et qu’il m'a demandé où étaient les canards. Ils étaient juste là, devant lui… Ou les fois où il se réveillait dans la nuit et qu'il parlait fort assis au milieu de son lit dans une posture inhabituelle. Quand je racontais les symptômes de la médication à son médecin, il me répondait qu’il était sûrement comme ça avant et que la médication ne pouvait pas avoir un effet aussi néfaste sur lui. Je me souviens m’être demandée comment j’allais me sortir de là. J’ai terminé la rencontre et j’ai quitté la salle avec un « Merci beaucoup, je vais en parler avec mon conjoint. » Je suis restée le plus calme possible et j’ai caché ma détresse.


Assis sur le sofa, les mains jointes avec mon conjoint, on discute avec tristesse des dernières années scolaires. Le personnel de l’école avait été clair : pas de médication, pas de scolarisation pour mon fils. Sans médication, il est violent, il fugue et il dérange les autres enfants. Depuis qu’il est médicamenté, il est constamment retiré de l’école si sa médication n’est pas optimale. « As-tu pris tes pilules ? » Je me souviens d’un jour où je suis allée le chercher à 15h15 car il n’avait pas le droit à l’autobus scolaire. Complètement zombie, le regard vide, il fixait le sol. J’ai demandé à sa professeure si la journée avait bien été et elle m’a répondu oui. Une belle journée et un beau comportement. De retour à la maison, mon fils était un vrai fantôme ambulant. Il était effectivement très calme.
Pour mon conjoint et moi, il est inconcevable que notre fils teste le Risperdal. Avant d’entrer dans le bus jaune, sa vie était belle et il n’avait pas besoin de médication. Mon conjoint me dit alors : « on va faire l’école à la maison ! » Je lui réponds qu’il est fou, et j’ai fait mes recherches sur Internet… c’est légal ! J’avais déjà quitté mon travail pour un travail à temps partiel et j’étais à l’école 80% du temps à faire de la « discipline ». Je me suis dit pourquoi pas ? Et ce fut le début de notre aventure d’instruction en famille.


Quand nous avons retiré notre fils de l'école, j’ai au tout début (10 mois environ) fait l’école dans ma maison. Rencontres avec des spécialistes au privé, horaire strict avec une routine bien établie pour ses troubles. Le matin, nous allions dans les rues du quartier faire une marche rapide pour ensuite faire des exercices au sol tout en mémorisant des mots de vocabulaire. Ensuite, c’était la lecture, le français et les maths. Tout était ludique et adapté, j’avais même des étiquettes collées sur les murs pour lui dire ce qu’il devait faire. Quand la semaine était terminée, je vérifiais ses apprentissages. Oui, il apprenait deux ou trois choses, mais quel travail pour de si petits résultats ! En fin de deuxième année, il ne savait toujours pas son alphabet, et ce malgré un suivi serré avec l’orthophoniste. Je me suis demandé s’il n’avait pas d’autre trouble. Pourrait-il lire un jour !? Les symptômes du TDAH de mon fils avaient diminué de 50%, mais il n’apprenait rien de « scolaire » ou presque...

Un jour, lors d'une de mes recherches pour aider mon fils dans ses apprentissages, une maman a vraiment attiré mon attention avec ce que je croyais à l’époque être une « méthode » vraiment intéressante, les « apprentissages libres ». Je me suis mise à lire tout sur le sujet ! Des heures et des heures de travail et de question sur les groupes Yahoo! et Facebook. Je me suis dit « Go ! On fait le test ! » J’ai arraché toutes les affiches d'école, rangé tous les manuels scolaires et je me suis assis avec mon fils pour lui demander ce qu’il voulait faire ! Nous sommes allés dans les musées, au théâtre, au Centre des sciences, nous avons joué aux LEGO, à des jeux vidéo, nous avons testé plusieurs sports et des cours de toute sorte. Tout, autour de nous, est devenu une raison d’apprendre et surtout de s’amuser ensemble ! Quelquefois, je lui posais des questions pour voir s'il apprenait des choses « scolaires ». Je me suis vite aperçue qu’il apprenait vraiment beaucoup de choses ! À chaque sortie, chaque jeu, chaque activité - désirée par lui et non imposée - il apprenait. Et le plus merveilleux, c’est qu’il se souvenait de tout ce qu’il avait appris de cette manière.

À l’époque, je me souviens m’être dit : « c’est bien beau, mais il ne sait toujours pas lire », et avec sa phobie des livres créée par sa scolarisation, je me demandais si ça fonctionnerait quand même. J’avais peur. Je lui ai présenté des méthodes pour apprendre à lire qu’il a toujours repoussées... Finalement, il a appris à lire à 12 ans. Ça m'a paru une éternité. Comment a-t-il appris, me demanderez-vous ? Avec le guide horaire de la télévision ! Il lisait les titres d'émissions, ensuite les synopsis au complet et pour finir les sous-titres de ses émissions préférées en anglais. J’étais impressionnée par la vitesse de sa lecture. Il était désormais au même niveau que les jeunes scolarisés de son âge. Tranquillement, il a aussi appris à écrire. Quand je lui dis comment un mot s’écrit, il le retient tout de suite, je n'ai même pas à le répéter. Il écrit des histoires pour faire des films maison. Il est aussi passionné d’histoire et il écoute des conférences de plusieurs heures sans manquer de concentration. Quand l’apprentissage est intrinsèque, il est passionnant pour mon fils et il reste ancré en lui. Il devient une partie de lui-même comme une photo avec un résumé. Quand je prends du recul sur la situation, on peut s’apercevoir que jamais les spécialistes qui sont en faveur de la médication ne remettent en doute la structure scolaire imposée à nos enfants. Pourtant, il ne faut pas chercher bien loin pour trouver le psychologue Peter Gray, qui a fait des recherches sur les enfants TDAH non scolarisés ou dans des écoles démocratiques.

Le plus difficile quand j’ai fait le choix de retirer mon enfant de l’école, ça n'a pas été d’être avec lui 24 heures sur 24. Le plus difficile, pour moi, a été le jugement des autres. Quand j’ai fait ce choix, j’ai aussi eu droit au blâme pour les retards académiques de mon fils. Soudain, ce n’était pas mon fils le problème, ni l’école, c’était moi, c’étaient mes choix éducatifs pour lui. Certaines personnes voulaient prouver qu’il n’était pas « au niveau ». Même les membres de ma famille élargie se sont amusés à ses dépens. Rigolo, un enfant non scolarisé qui ne sait pas lire à 10 ans, vous ne trouvez pas ? « Voilà pourquoi il faut scolariser nos enfants, pour ne pas qu’ils soient analphabètes comme lui. » Peu importe notre histoire, quand j’ai fait ce choix, je suis devenue pour plusieurs une mauvaise mère. Ce choix m’a aussi fait quitter mon emploi. J’ai eu droit à l’étiquette « maman à la maison », une personne qui se fait vivre par son conjoint, sans grande ambition dans la vie. Aujourd’hui, je vais à l’université à temps partiel, ce qui me redonne confiance en moi. Car même si j’ai un caractère fort, l’éloignement et l’exclusion à cause de mes choix éducatifs a laissé des traces sur moi... une colère et une tristesse, mais ensuite une résilience.


Aujourd’hui, quand j’assiste à des conférences avec mon ado, je souris, car à 14 ans il me trouve encore cool. Nous avons une belle relation ado-maman et aucun trouble d’opposition à l’horizon comme le prévoyaient les spécialistes. Écouter mon cœur m’a fait perdre des plumes, mais ça m’a fait gagner une magnifique relation durable. L’été dernier, alors que nous étions allés visiter un apiculteur, une maman professeur est venue nous retrouver pour faire l’éloge de mon fils : ses questions et son intérêt marqué pour les abeilles l’avait touchée. Elle le trouvait merveilleux, elle nous a même dit : « Je voudrais que tous mes élèves soient comme lui ! » Nous avons trouvé ça cocasse ! Mon fils ne sait pas encore ce qu’il va faire plus tard, mais j’espère du plus profond de mon cœur qu’il sera heureux. Maintenant, c’est tout ce qui compte pour moi. Notre vie n’est pas devenue parfaite, loin de là ! Je n’ai pas de recette magique pour tous les enfants TDAH. C’est notre vie, notre histoire, elle est simplement à notre image. J’ai la chance d’avoir deux autres enfants qui vivent eux aussi les apprentissages libres, ce qui contribue grandement à la diversité des apprentissages, aux découvertes et au plaisir d’être ensemble. J’ai moi-même plus appris dans mes huit années d’instruction en famille que dans toute mes années de scolarité.

Aujourd’hui, mon plus grand rêve, c’est de voir des écoles démocratiques, comme celle de Sudbury vallée, émerger dans la région de Québec. Je sais qu’un centre démocratique est déjà en fonction à Montréal et j’en suis ravie. J’aimerais que les enfants TDAH ne soient plus médicamentés et qu’on accepte leurs besoins d’apprentissage, leur créativité et leur grand besoin de se mouvoir. L’ère industrielle est terminée et il est plus que temps que les écoles s’en aperçoivent. Qu’elles laissent place à l’ère de l’information et à la liberté d’apprendre. Je pense à tous les enfants à qui leurs parents ne peuvent pas offrir un environnement riche et stimulant. Ceux qu’on n’écoute pas, ceux qui n’ont pas la chance de mon fils. L’image que l’école-projet est bien belle, mais quand on regarde de plus près, comme sur ma photo, on découvre des centaines d’enfants qui souffrent avec le sourire.

Claudia Turgeon
(Et Cie) 


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