Une photo, une tranche de vie.
Une
photo de mon fils à 6 ans, dans notre salon. Avec un grand sourire, il a autour
du cou sa médaille sur laquelle est
inscrit « persévérance ». À première vue, cette photo peut
sembler magnifique, mais elle est la plus triste de mes photos. Pour moi, c’est
le symbole de notre changement de vie. Sur cette photo, mon fils est
diagnostiqué, depuis quelque temps déjà, TDAH, trouble déficitaire de
l’attention avec hyperactivité. Pour avoir sa médaille de la persévérance, il
doit prendre une médication qui le rend malade, qui étouffe sa créativité, qui
lui donne une multitude de tics nerveux au point où il se gratte au sang sous
le nez. On peut l’observer sur la photo, mais seulement quand on regarde de
plus près. Sur cette image, il en est déjà à sa 5e sorte de médication.
Chaque fois, quand je regarde cette image de mon fils avec un grand sourire qui
cache une grande tristesse, je souffre... Je souffre d'avoir écouté tous
les « spécialistes » et non mon cœur de maman. Je
me souviens de tous ces épisodes de folie que les différentes médications lui
ont apportés et j'ai mal à mon ignorance de l’époque.
Quelques
mois plus tard, c’est la dernière rencontre avec les sept spécialistes d'un
centre d'évaluation en pédopsychiatrie. Ils nous donnent les dernières informations
pour notre fils. Je me souviens, j’étais seule dans le local avec tous
les « psys » et la professeure de mon fils. Mon conjoint,
qui manquait le travail deux fois par semaine, était à la maison avec ma plus
jeune. La prochaine médication était le Risperdal. Pour résumer, les
spécialistes m’avaient expliqué qu’il avait trop d’idées en même temps et que
cette médication allait l’aider à en avoir moins. Ils disaient « un
trouble de l’idée », au-delà d’un simple TDAH. Cette médication
impliquait des prises de sang chaque semaine et un suivi rapproché avec le
psychiatre. Mon cœur s’est serré, ma gorge s’est nouée et, soudain, j’étais
seule dans mes pensées comme si une bulle de verre fumé m’entourait. J’ai revu
tous les moments où mon fils était malade à cause des médications que nous
avions testées. Le moment où il est tombé dans la neige, mais qu’il est resté
là, mollement, fixant le vide, ou cet autre moment où nous étions dans un parc
et qu’il m'a demandé où étaient les canards. Ils étaient juste là, devant
lui… Ou les fois où il se réveillait dans la nuit et qu'il parlait fort assis
au milieu de son lit dans une posture inhabituelle. Quand je racontais les
symptômes de la médication à son médecin, il me répondait qu’il était sûrement
comme ça avant et que la médication ne pouvait pas avoir un effet aussi néfaste
sur lui. Je me souviens m’être demandée comment j’allais me sortir de là. J’ai
terminé la rencontre et j’ai quitté la salle avec un « Merci beaucoup, je
vais en parler avec mon conjoint. » Je suis restée le plus calme
possible et j’ai caché ma détresse.
Assis
sur le sofa, les mains jointes avec mon conjoint, on discute avec tristesse des
dernières années scolaires. Le personnel de l’école avait été clair : pas de
médication, pas de scolarisation pour mon fils. Sans médication, il est
violent, il fugue et il dérange les autres enfants. Depuis qu’il est
médicamenté, il est constamment retiré de l’école si sa médication n’est pas
optimale. « As-tu pris tes pilules ? » Je me souviens d’un jour où je suis allée
le chercher à 15h15 car il n’avait pas le droit à l’autobus scolaire.
Complètement zombie, le regard vide, il fixait le sol. J’ai demandé à sa
professeure si la journée avait bien été et elle m’a répondu oui. Une belle
journée et un beau comportement. De retour à la maison, mon fils était un vrai
fantôme ambulant. Il était effectivement très calme.
Pour mon conjoint et moi, il est inconcevable que notre fils teste le Risperdal. Avant d’entrer dans le bus jaune, sa vie était belle et il n’avait pas besoin de médication. Mon conjoint me dit alors : « on va faire l’école à la maison ! » Je lui réponds qu’il est fou, et j’ai fait mes recherches sur Internet… c’est légal ! J’avais déjà quitté mon travail pour un travail à temps partiel et j’étais à l’école 80% du temps à faire de la « discipline ». Je me suis dit pourquoi pas ? Et ce fut le début de notre aventure d’instruction en famille.
Pour mon conjoint et moi, il est inconcevable que notre fils teste le Risperdal. Avant d’entrer dans le bus jaune, sa vie était belle et il n’avait pas besoin de médication. Mon conjoint me dit alors : « on va faire l’école à la maison ! » Je lui réponds qu’il est fou, et j’ai fait mes recherches sur Internet… c’est légal ! J’avais déjà quitté mon travail pour un travail à temps partiel et j’étais à l’école 80% du temps à faire de la « discipline ». Je me suis dit pourquoi pas ? Et ce fut le début de notre aventure d’instruction en famille.
Quand
nous avons retiré notre fils de l'école, j’ai au tout début (10 mois environ)
fait l’école dans ma maison. Rencontres avec des spécialistes au privé, horaire
strict avec une routine bien établie pour ses troubles. Le matin, nous allions
dans les rues du quartier faire une marche rapide pour ensuite faire des
exercices au sol tout en mémorisant des mots de vocabulaire. Ensuite, c’était
la lecture, le français et les maths. Tout était ludique et adapté, j’avais
même des étiquettes collées sur les murs pour lui dire ce qu’il devait faire.
Quand la semaine était terminée, je vérifiais ses apprentissages. Oui, il
apprenait deux ou trois choses, mais quel travail pour de si petits résultats !
En fin de deuxième année, il ne savait toujours pas son alphabet, et ce malgré
un suivi serré avec l’orthophoniste. Je me suis demandé s’il n’avait pas
d’autre trouble. Pourrait-il lire un jour !? Les symptômes du TDAH de mon fils
avaient diminué de 50%, mais il n’apprenait rien
de « scolaire » ou presque...
Un
jour, lors d'une de mes recherches pour aider mon fils dans ses apprentissages,
une maman a vraiment attiré mon attention avec ce que je croyais à l’époque
être une « méthode » vraiment intéressante,
les « apprentissages libres ». Je me suis mise à lire tout sur
le sujet ! Des heures et des heures de travail et de question sur les groupes
Yahoo! et Facebook. Je me suis dit « Go ! On fait le test
! » J’ai arraché toutes les affiches d'école, rangé tous les manuels
scolaires et je me suis assis avec mon fils pour lui demander ce qu’il voulait
faire ! Nous sommes allés dans les musées, au théâtre, au Centre des sciences,
nous avons joué aux LEGO, à des jeux vidéo, nous avons testé plusieurs sports
et des cours de toute sorte. Tout, autour de nous, est devenu une raison
d’apprendre et surtout de s’amuser ensemble ! Quelquefois, je lui posais des
questions pour voir s'il apprenait des choses « scolaires ». Je
me suis vite aperçue qu’il apprenait vraiment beaucoup de choses ! À chaque
sortie, chaque jeu, chaque activité - désirée par lui et non imposée - il
apprenait. Et le plus merveilleux, c’est qu’il se souvenait de tout ce qu’il
avait appris de cette manière.
À
l’époque, je me souviens m’être dit : « c’est bien beau, mais il ne
sait toujours pas lire », et avec sa phobie des livres créée par sa
scolarisation, je me demandais si ça fonctionnerait quand même. J’avais peur.
Je lui ai présenté des méthodes pour apprendre à lire qu’il a toujours
repoussées... Finalement, il a appris à lire à 12 ans. Ça m'a paru une
éternité. Comment a-t-il appris, me demanderez-vous ? Avec le guide horaire de
la télévision ! Il lisait les titres d'émissions, ensuite les synopsis au
complet et pour finir les sous-titres de ses émissions préférées en anglais.
J’étais impressionnée par la vitesse de sa lecture. Il était désormais au même
niveau que les jeunes scolarisés de son âge. Tranquillement, il a aussi appris
à écrire. Quand je lui dis comment un mot s’écrit, il le retient tout de suite,
je n'ai même pas à le répéter. Il écrit des histoires pour faire des films
maison. Il est aussi passionné d’histoire et il écoute des conférences de
plusieurs heures sans manquer de concentration. Quand l’apprentissage est
intrinsèque, il est passionnant pour mon fils et il reste ancré en lui. Il
devient une partie de lui-même comme une photo avec un résumé. Quand je prends
du recul sur la situation, on peut s’apercevoir que jamais les spécialistes qui
sont en faveur de la médication ne remettent en doute la structure scolaire
imposée à nos enfants. Pourtant, il ne faut pas chercher bien loin pour trouver
le psychologue Peter Gray, qui a fait des recherches sur les enfants TDAH non
scolarisés ou dans des écoles démocratiques.
Le
plus difficile quand j’ai fait le choix de retirer mon enfant de l’école, ça n'a
pas été d’être avec lui 24 heures sur 24. Le plus difficile, pour moi, a été le
jugement des autres. Quand j’ai fait ce choix, j’ai aussi eu droit au blâme
pour les retards académiques de mon fils. Soudain, ce n’était pas mon fils le
problème, ni l’école, c’était moi, c’étaient mes choix éducatifs pour lui.
Certaines personnes voulaient prouver qu’il n’était pas « au
niveau ». Même les membres de ma famille élargie se sont amusés à ses
dépens. Rigolo, un enfant non scolarisé qui ne sait pas lire à 10 ans, vous ne
trouvez pas ? « Voilà pourquoi il faut scolariser nos enfants, pour
ne pas qu’ils soient analphabètes comme lui. » Peu importe notre
histoire, quand j’ai fait ce choix, je suis devenue pour plusieurs une mauvaise
mère. Ce choix m’a aussi fait quitter mon emploi. J’ai eu droit à
l’étiquette « maman à la maison », une personne qui se fait
vivre par son conjoint, sans grande ambition dans la vie. Aujourd’hui, je vais
à l’université à temps partiel, ce qui me redonne confiance en moi. Car même si
j’ai un caractère fort, l’éloignement et l’exclusion à cause de mes choix
éducatifs a laissé des traces sur moi... une colère et une tristesse, mais
ensuite une résilience.
Aujourd’hui,
quand j’assiste à des conférences avec mon ado, je souris, car à 14 ans il me
trouve encore cool. Nous avons une belle relation ado-maman et aucun trouble
d’opposition à l’horizon comme le prévoyaient les spécialistes. Écouter mon
cœur m’a fait perdre des plumes, mais ça m’a fait gagner une magnifique
relation durable. L’été dernier, alors que nous étions allés visiter un
apiculteur, une maman professeur est venue nous retrouver pour faire l’éloge de
mon fils : ses questions et son intérêt marqué pour les abeilles l’avait
touchée. Elle le trouvait merveilleux, elle nous a même dit : « Je
voudrais que tous mes élèves soient comme lui ! » Nous avons trouvé ça
cocasse ! Mon fils ne sait pas encore ce qu’il va faire plus tard, mais
j’espère du plus profond de mon cœur qu’il sera heureux. Maintenant, c’est tout
ce qui compte pour moi. Notre vie n’est pas devenue parfaite, loin de là ! Je
n’ai pas de recette magique pour tous les enfants TDAH. C’est notre vie, notre
histoire, elle est simplement à notre image. J’ai la chance d’avoir deux autres
enfants qui vivent eux aussi les apprentissages libres, ce qui contribue
grandement à la diversité des apprentissages, aux découvertes et au plaisir
d’être ensemble. J’ai moi-même plus appris dans mes huit années d’instruction
en famille que dans toute mes années de scolarité.
Aujourd’hui,
mon plus grand rêve, c’est de voir des écoles démocratiques, comme celle de
Sudbury vallée, émerger dans la région de Québec. Je sais qu’un centre
démocratique est déjà en fonction à Montréal et j’en suis ravie. J’aimerais que
les enfants TDAH ne soient plus médicamentés et qu’on accepte leurs besoins
d’apprentissage, leur créativité et leur grand besoin de se mouvoir. L’ère
industrielle est terminée et il est plus que temps que les écoles s’en
aperçoivent. Qu’elles laissent place à l’ère de l’information et à la liberté
d’apprendre. Je pense à tous les enfants à qui leurs parents ne peuvent pas
offrir un environnement riche et stimulant. Ceux qu’on n’écoute pas, ceux qui
n’ont pas la chance de mon fils. L’image que l’école-projet est bien belle,
mais quand on regarde de plus près, comme sur ma photo, on découvre des
centaines d’enfants qui souffrent avec le sourire.
Claudia
Turgeon
(Et Cie)
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