06 - ANALYSE

Liberté en péril



Tes droits et libertés sont attaqués, peuple québécois. Tu n’étais pas au courant? Normal. Jamais on ne l’annoncerait en ces termes. Les manœuvres sont plus subtiles et se cachent derrière de nobles prétextes. Voici ce dont il est question. Le gouvernement Legault vient d’annoncer qu’il obligera toutes les familles faisant l’école à la maison (1) à suivre désormais le programme du ministère et à passer ses examens. Tu ne te sens pas concerné? Je comprends. Attends un peu, tu comprendras. Accorde à ce texte la lecture de ces quelques lignes. Tes droits et libertés en valent bien la peine.

Donc comme je le disais, le programme d’enseignement du gouvernement va devenir obligatoire ainsi que ses examens. Cela peut peut-être paraître banal, mais c’est loin de l’être. Les experts en pédagogie montrent que le programme du gouvernement et ses évaluations sont loin d’être le nec plus ultra en matière de pédagogie, malheureusement. (2) Il faut savoir que ce programme et ses évaluations ne sont pas pensés pour favoriser un apprentissage et un développement optimal de chaque enfant, mais bien de tenter de composer avec le contexte scolaire des classes surpeuplées. Ce constat fait, il apparaît immédiatement grotesque de l’imposer aux enfants apprenant dans d’autres contextes. (Et encore, on peut questionner la validité de ce programme connaissant les statistiques sur les problèmes en lien avec l’éducation au Québec. (3) Mais surtout, au-delà de ce non-sens profond, ce projet de loi entrave la liberté à apprendre par d’autres chemins tout aussi valables que celui du ministère sinon plus (4) . Les parents qui accompagnent leurs enfants dans leurs apprentissages adoptent souvent des approches variées dans un ajustement étroit avec les besoins et intérêts de leur(s) enfant(s).

Tu trouves ça dommage, mais tu ne te sens toujours pas concerné? Seulement une petite partie de la population fait l’école à la maison. (5) Ok, je comprends. Et c’est là que ça devient crucial. L’important n’est pas si on fait l’école à la maison ou pas. L’important c’est d’en avoir la possibilité. Et c’est pour le Québec tout entier que disparaît la possibilité d’apprendre par d’autres chemins. Puisqu’en éradiquant ces différents chemins d’apprentissages, c’est le Québec entier qui se voit privé de cette possibilité. Avoir le choix, c’est être libre. C’est bien à la liberté du Québec que le gouvernement s’en prend.

Mais ce n’est pas tout. Ce faisant, il affaiblit le peuple québécois. Le monde d’aujourd’hui et, a fortiori celui de demain ont grand besoin d’aptitudes variées issues de parcours multiples afin de faire face aux immenses défis actuels et futurs. Tous bâtis à partir du même moule, nous serons faibles. Nous avons besoin de forces diverses et complémentaires. Et cela aucun programme standardisé ne pourra nous l’implanter. Il y a quelque chose de très inquiétant dans ce projet interdisant la pluralité des chemins d’éducation, dans cette volonté d’aplanir tout le relief de l’univers éducatif québécois. Il y a quelque chose d’autoritariste, voire de nihiliste dans cet acharnement à vouloir tout conformer. La très grande majorité des familles faisant l’école à la maison le font dans un cadre vivant, riche et concret, mais aussi dans un profond souci éthique. Ce cadre éducatif devrait constituer une source d’inspiration pour le gouvernement et non pas être perçu comme un ennemi à abattre. En s’attaquant à la liberté éducative des Québécois, c’est leur diversité et leur richesse qu’il détruit. Au contraire, le gouvernement ne devrait- il en être le grand protecteur?

Également, en laissant le gouvernent s’immiscer ainsi dans nos vies sur le plan éducatif, cela ouvre la porte toute grande à davantage d’intrusion, de contrôle et de répression dans un futur proche. À quand le cursus obligatoire dès trois ans comme en France? Et que dire de nos écoles alternatives? Elles seront sûrement les prochaines visées. Aussi, il faut prendre conscience qu’une telle entrave ne s’adresse pas de façon limitée à notre liberté éducative. Elle met en péril toutes nos libertés fondamentales. On a l’habitude de diviser les choses et les de les ranger dans de petites cases. Mais il n’y a pas de tiroirs clos et de dossiers non communicants en matière de liberté. Soit notre liberté est attaquée, soit elle est protégée. Bientôt le gouvernement imposera peut-être des visites de contrôle obligatoires chez le médecin avec menace de verdict de négligence parentale si un parent refuse une prescription de Ritalin (6) ? Cet exemple peut paraître farfelu au premier abord. Pourtant, c’est bel et bien d’une situation équivalente d’ingérence de l’État dans nos vies dont il est question. Jusqu’à quel point sommes-nous maîtres de nos vies? Le gouvernement semble croire que nous lui appartenons.

Rajoutant l’insulte à l’injure, il ose répondre aux familles que ce projet de loi n’aura qu’un faible impact dans leurs vies, montrant ainsi une méconnaissance totale de leurs réalités, doublée d’un manque de considération notoire à l’égard de la population. L’impact sera majeur pour ces familles, mais aussi pour tout le Québec qui perd de sa liberté et de sa diversité éducative. La situation actuelle amène à se poser les questions suivantes. Comment nous sommes-nous retrouvés dans la situation grotesque de quémander l’autonomie qui nous revient de droit comme des enfants face à un adulte dominant et sans écoute? (7) Comment se fait-il que des personnes aient autant de pouvoir sur nos existences? Qui surveille ceux qui surveillent et contrôlent? Qui surveille ceux qui prennent du pouvoir aux dépens de la liberté des autres? À quand une nouvelle constitution? Et, au fond, surtout, à quand une réelle démocratie (8) ? Parce que, comprenons-nous bien, peuple québécois, ce que ce nouveau projet de règlement réussi bien, c’est de mettre en lumière que nous ne vivons pas en démocratie et que notre liberté peut nous être dérobée morceau par morceau à n’importe quel moment.

Rappelons en terminant que ce projet de règlement a été annoncé par le gouvernement comme remède à la négligence éducative vécue par des enfants dans des écoles religieuses illégales. Non seulement cette stratégie a été élaborée sans considération pour la très grande majorité des familles pratiquant l’éducation en famille, mais de plus, elle ne garantit en rien la fin des négligences dont sont victimes les enfants dans ces écoles illégales. (9) S’il y a des écoles religieuses illégales, alors, démantelons-les. Allons à la racine du problème. Le ridicule d’une solution privant tout le peuple québécois de sa liberté éducative sous prétexte de vouloir régler un problème concernant une infime minorité apparaît dans toute son évidence dès qu’on se penche un tant soit peu sur la question.

Encore une fois, on se retrouve au cœur de l’éternel débat entre la liberté et la sécurité. Et où, prétendant préserver la sécurité des gens, on en profite pour empiéter gravement sur leurs libertés fondamentales et s’octroyer du pouvoir sur leur dos. Oui, bien sûr, il faut veiller à la sécurité de nos concitoyen.ne.s, mais il importe tout autant protéger leur liberté. Actuellement on justifie le contrôle et la répression par motif de sécuriser la population. Il faut changer de paradigme. Il ne s’agit de rien de plus ou de moins que de l’ingérence éhontée de l’État dans nos vies. La sécurité et la liberté doivent s’accorder et se décliner en autonomie, en responsabilité et en solidarité.

Tu vois, peuple québécois, c’est de ta liberté qu’il est question. Levons-nous et agissons maintenant! Réapproprions-nous nos existences et notre liberté avant qu’il ne soit trop tard. Peuple québécois, resteras-tu donc assis, distrait ou blasé pendant qu’on te pille? Te sens-tu finalement concerné? Il ne s’agit pas uniquement de la cause des parents- éducateurs, mais bien de celle de tout le Québec qui doit refuser d’être ainsi attaqué.

Les parents-éducateurs sont debout et en marche. Nous sommes déterminés et créatifs. Nous avons la force et le courage de ceux qui connaissent la valeur de l’autonomie et de la liberté qu’on tente de leur dérober, à eux et à leurs enfants. Peuple québécois, lève-toi et rejoins-nous au rang des indigné.e.s qui sont venu.e.s reprendre de droit ce qu’on leur a volé.

Alice Trépanier, Doctorante en psychologie et maman d’un apprenant libre

Pour vous joindre à nous et protéger la liberté des québécois.es :
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1 Le terme école à la maison est employé ici par commodité comme c’est le terme le plus connu. L’expression «faire ses apprentissages en famille et dans la communauté, hors de l’école» est plus complète et représentative de la réalité de ces familles.

2 Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec a remis un déposé un rapport portant justement sur le fait que les outils d’évaluations ministériels actuels ne sont pas appropriés et sont problématiques à de multiples égards. Des façons plus appropriées d’évaluer sont discutées.

3 Statistiques sur les problèmes en lien avec l’éducation au Québec : -53% de la population est analphabète fonctionnel -«Le taux de diplomation dans les écoles publiques québécoises est encore très faible, et surtout, il stagne depuis plusieurs années». -45% des enfants sont stressés au quotidien, 29% des étudiants du secondaire souffrent de détresse psychologique élevée et les chiffres sont en hausse. La pression à la performance issue du système scolaire serait en cause. -La moitié des enseignants rapportent vivre des symptômes d’anxiété et/ou d’épuisement professionnel. Sources : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1122453/alphabetisation-litteratie-carte-quebec-canada-ocde https://www.institutduquebec.ca/docs/default-source/Indice-Emploi/9652_d%C3%A9crochage-scolaire-au- qu%C3%A9bec_idq_br.pdf?sfvrsn=4 https://www.journaldemontreal.com/2016/02/24/la-moitie-des-enfants-stresses https://www.ledevoir.com/societe/542949/l-isq-et-la-sante-mentale-des-jeunes
https://www.lapresse.ca/actualites/education/201711/22/01-5144407-la-detresse-des-enseignants-coute- cher-aux-ecoles-estime-un-syndicat.php 

4 La littérature scientifique montre que les enfants en instruction en famille ont des résultats équivalents, voire meilleurs que ceux dans le système gouvernemental. Elle conclut également à un effet positif sur le plan psychologique et celui de la réussite dans la vie adulte. Ray, Brian (2017) http://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15582159.2017.1395638 Kunzman & Gaithere (2013) https://www.othereducation.org/index.php/OE/article/view/10 https://www.lequotidien.com/opinions/tribune/lecole-a-la-maison-ce-quen-dit-la-recherche- d861cf294f847816a727ad7333ae5d0f 

5 Il y a quand même plus de 5000 enfants qui font leurs apprentissages en famille et ce nombre va en s’accroissant.

6 «Près d’une cinquantaine de médecins sonnent l’alarme et dénoncent le recours trop facile aux médicaments pour traiter des symptômes s’apparentant au trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) chez les jeunes au Québec, où la consommation de psychostimulants, comme le Ritalin, est trois fois plus élevée que dans le reste du Canada.» https://www.journaldequebec.com/2019/01/31/cri-du-cur-des-medecins

7 Quand on ne connait qu’un modèle, on est tenté de le reproduire…

8 Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’UQÀM expose que le Canada n’est pas une démocratie et ne l’a jamais été. Il s’agit d’une aristocratie élue où une petite minorité gouverne. Démocratie signifie le pouvoir du peuple. Voir son livre Démocratie. Histoire politique d’un mot chez Lux Éditeur et cette entrevue : https://www.youtube.com/watch?v=KVW5ogGDlts

9 Christine Brabant Christine Brabant, chercheuse à la faculté des sciences de l'éducation de l'UdeM a déclaré en entrevue : «Dans les faits, la CAQ propose de modifier le règlement sur l'enseignement à la maison. Elle ne touche pas aux écoles religieuses.» https://ici.radio-canada.ca/tele/24-60/site/episodes/430356/pedophilie-pretres-enquete-boeing-athena- gervais?fbclid=IwAR0EwrplvCWbPum7-mbUOmJ68NSuqNPdNy7n--9r9Y79s0-YIavu2gDv35Q

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