04 - LETTRE AU DÉPUTÉ

Mme Agnès Grondin
Député d’Argenteuil

J’ai pris connaissance du projet de règlement pour l’encadrement de l’éducation à la
maison. Comme de nombreuses familles éducatrices, j’en suis consternée. Tout d’abord, je
m’explique mal pourquoi on ne se donne pas le temps de voir si le règlement en vigueur depuis
moins d’un an est efficace. Nous n’avons même pas amorcé les évaluations de fin d’année. Ce
règlement a été adopté en concertation avec de nombreux acteurs du milieu, après plusieurs
mois de réflexions et de discussions. Tout ce travail mérite d’être expérimenté, il me semble. Il
m’apparaît que la décision du ministre Roberge était prise depuis bien longtemps et qu’il ne
voulait pas tenir compte des opinions contraires. Or, une telle attitude pour une personne au
pouvoir n’est pas très démocratique. Pourtant, M. Legault a mis l’emphase sur l’importance de
l’écoute dans son premier discours en tant que premier ministre.
Laissez-moi vous raconter notre histoire et nos motivations. Nous avons 3 enfants de 10,
13 et 16 ans. À 4 ans, notre aînée a commencé à faire des crises d’épilepsie que l’on appelle
absences. Elle en faisait plusieurs dizaines par jour et nous avions peur que cela ne lui cause des
problèmes à l’école. Connaissant des familles qui faisaient l’éducation en famille, nous avons
décidé de tenter l’aventure, une année à la fois. Quelle découverte ! Nous découvrons un
monde de possibilités. La liberté de revoir l’éducation d’un enfant. C’est en famille que nous
redécouvrons le monde et nous extasions à comprendre, faire des liens, apprendre. Parce que
l’apprentissage est jouissif lorsqu’il se fait de façon spontanée. Les occasions d’apprendre sont
partout : lors de nos marches en forêt en prenant le temps d’observer le lien entre les êtres
vivants, lors de nos visites au musée, de nos sorties au théâtre, d’une rencontre à l’épicerie avec
une personne d’une autre nationalité, de la mort d’un animal de compagnie, dans la lecture
d’un roman, etc. Parce qu’un enfant a surtout besoin d’expérimenter le monde pour s’y
intéresser et s’y attacher. Mon garçon de 10 ans adore fabriquer toutes sortes d’objets, faire
plein d’expériences. Si je lui demandais de venir d’abord apprendre la démarche scientifique,
comme exigé dans le programme scolaire, et de faire ses expériences en suivant les étapes, vous
pouvez être certaine que je le perdrais. La science deviendrait ennuyante à ses yeux. Au lieu de
cela, en l’expérimentant par lui-même, il constate peu à peu que sa fusée vole plus loin s’il laisse
le temps à la réaction de grossir et d’augmenter la pression. Pour cela, il voit qu’il faut serrer
davantage le bouchon et ajouter un peu de vinaigre. Dans 5 ans, il se rendra compte que plus il
sera précis, mieux les expériences fonctionneront bien. Il aimera peut-être alors apprendre la
démarche scientifique pour se donner une structure de travail. En attendant, l’expérience qu’il
acquiert lui permet d’avoir des connaissances intuitives du monde.
Ainsi, heureux de notre expérience d’apprentissage en famille, nous avons continué
l’aventure avec les deux autres enfants. Nous avons profité de la liberté des horaires pour
voyager en famille. Nous avons visité le Chili pendant 3 mois, le Costa Rica pendant 6 semaines

et Cuba pendant 1 mois. Lors de ces voyages nous demeurions chez les gens et nous avons
appris l’espagnol et d’autres cultures. Les enfants ont appris l’histoire du Chili et de la dictature
de Pinochet avant de connaître Jacques Cartier, je m’en confesse. Ils ont pu toutefois mieux le
connaître lors de notre voyage en Gaspésie quelques années plus tard. Vivre l’apprentissage
résonne 100 fois plus que de l’apprendre dans un livre. Mais nous ne pouvons pas toujours faire
les voyages en suivant l’ordre du programme scolaire.
Notre aînée est rentrée à l’école en septembre dernier. Pour obtenir son DES, elle a
évalué que c’était la façon la plus simple pour elle. Au primaire, nous faisions quelques cahiers
de français, surtout des projets et suivions le programme de mathématiques pour l’école à la
maison des frères Lyons. Les 2 années précédant sa rentrée, nous avons acheté les volumes
utilisés à l’école afin qu’elle voit la même matière que les autres élèves. Ne sachant pas ce qui
était véritablement vu en classe, elle a complété les cahiers en entier. Elle a certainement
appris, mais je suis convaincue que ces apprentissages sont moins marquants que ceux acquis
par expérience. Surtout, je ne pense pas qu’elle ait eu autant de plaisir. Celui-ci étant
malheureusement très peu présent dans un apprentissage commandé. Je ne lui ai pas imposé
d’écrire des textes, nous n’avions pas vraiment le temps avec tous ces cahiers et je souhaitais
qu’elle puisse continuer ses cours de danse, de chant, de ski, d’anglais, de théâtre. Je voulais
aussi qu’elle ait le temps de lire, une passion pour elle. Elle lisait environ 3-4 romans par
semaine et me parlait de ce que cela lui faisait vivre. Je ne pouvais pas la préparer pour les
examens, je ne sais pas ce qui y est demandé. Elle est maintenant à l’école en secondaire 4. Sa
moyenne générale se situe autour de 85% avec des notes de 90% en écriture.
Notre deuxième fille se prépare pour rentrer en septembre prochain. Pour sa part, ce
sont les arts plastiques, la lecture, la cuisine, ses cours de cirque et la planche à neige qui
remplissent les moments laissés libres entre les cahiers à faire.
Il n’y aura donc que notre plus jeune qui subira les impacts du possible règlement. Or, je
trouve que c’est toute la société qui perd en contraignant les familles à suivre le programme
scolaire. Les familles éducatrices innovent dans la manière d’aborder l’éducation puisque nous
n’avons pas les contraintes de l’école. Pourquoi vouloir nous faire entrer dans le rang et
empêcher cette diversité éducative ? L’école est prise dans la spirale des évaluations et sa raison
d’être est devenue elle-même plutôt que l’éducation. L’école apprend à réussir à l’école. Il y a
tant d’aberrations qui en découlent. Par exemple, dans la classe de science de ma fille aînée,
quand les élèves posent des questions sur un sujet, demandent d’aller plus en profondeur, le
professeur doit s’arrêter sans les satisfaire parce qu’il manque de temps, que ce n’est pas au
programme et qu’ils ne seront pas prêts à temps pour l’examen. Cela créer aussi une espèce de
vente de points parfois sans lien avec l’éducation. Par exemple, un professeur a augmenté la
note d’étape de ma fille pour l’avoir aidé à déplacer du matériel. Pourquoi nous imposer ce
système aliénant des évaluations et de course aux points? La Finlande a banni les examens et les
matières, leurs résultats sont excellents. Des facultés de médecine ont aussi banni les examens,
jugeant que ceux-ci sont contre-productifs.

S’il fallait que, lors de son éducation à domicile, je doive préparer mon fils pour des
examens, ce serait injuste pour lui, parce que je ne sais pas ce qui est attendu dans ceux-ci et ne
peut donc pas l’y préparer comme les élèves de l’école. De plus, ça nous enlèverait
énormément de liberté dans la façon d’apprendre parce que nous devrions utiliser des livres
avec des thèmes imposés plutôt qu’apprendre en fonction de notre vécu et de nos intérêts.
Nous devrions abandonner bien des projets pour répondre aux exigences.
Les parents sont les premiers responsables de l’éducation de leur enfant. Pourquoi donc
ne pourrions-nous pas décider de l’ordre des apprentissages et de l’approche que nous voulons
utiliser ? Il en est de même dans le système scolaire où la structure rend bien difficile pour le
parent de se faire entendre. Le cursus scolaire est constamment retravaillé entraînant réforme
après réforme. Chaque province et pays a des programme différent, preuve qu’il n’y a pas de
consensus parmi les spécialistes par rapport à l’ordre des apprentissages et des façons de les
acquérir. Un programme sur mesure pour son enfant, élaboré par des parents qui le connaissent
si bien et veulent le meilleur pour lui est certainement d’une grande valeur.
Le monde est en grands bouleversements en ce moment. On ne sait pas de quoi sera fait
le monde de demain. Une chose de certaine, les jeunes d’aujourd’hui auront de grands défis à
relever. Comment savoir ce qu’il sera important de connaître ? Quelles compétences seront
nécessaires ? Il faudra certainement qu’ils soient curieux, engagés et créatifs. L’apprentissage
par l’expérience, en dehors d’un cadre, favorise ces qualités. Des personnes qui auront des
connaissances différentes de la majorité, qui réfléchiront différemment, seront un apport
important. Je suis d’accord avec la notion de savoirs essentiels pour tous les jeunes à savoir
littéracie, la mathématique, une deuxième langue, la compréhension du monde socialement et
scientifiquement. Par contre, imposer le moment et les spécialités de ces domaines
d’apprentissage, tel que nécessaire pour répondre à des examens standardisés, ne permet pas
la diversité des connaissances et des compétences. Si vous voulez savoir ce que les enfants ont
fait et appris dans leur année, pourquoi ne pas leur demander de vous le présenter et vous
l’expliquer ? Comme cela se fait dans un portfolio. Ce sera beaucoup plus représentatif et
créatif.

Stéphanie Savard
St-Colomban


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